Cap Nord

Planning

5 Juillet Mouchard - Osnabrück (Allemagne) 762 Km
6 Juillet Osnabrück - Hirtshals (Danemark) 737 km
7 Juillet Hirtshals - Stavanger (Norvège) 260 Km
8 Juillet Stavanger - Bergen 468 km
9 Juillet Bergen - Lyngmo 440 Km
10 juillet Lyngmo - Geiranger 229 Km
11 Juillet Geiranger - Trondheim 416 Km
12 juillet Trondheim - Bodo 700 Km
13 Juillet Bodo Svolvaer + Balades Iles Lofoten
14 Juillet Iles Lofoten
15 Juillet Lofoten -Tromsö 424 Km
16 Juillet Tromsö - Alta 398 Km
17 Juillet Alta - Cap Nord - Alta 480 Km
18 juillet et suivants retour par le Sud de la Suède
Etapes suivant la fatigue et la météo
25 juillet Mouchard                   Pour voir les superbes photos de Serge, cliquez:ICI.

Le Cap Nord vous connaissez ? C'est simple, sur une carte, c'est tout en haut. Bon, si nous comptons les kilomètres pour s'y rendre, c'est un peu moins simple. Si nous évaluons ce que cela va coûter tout se complique vraiment beaucoup. Peu nous importe, l'aventure ne se mesure ni en kilomètres ni en euros mais en émotions. Alors, va pour le Cap Nord cette année au mois de juillet. Pour nous ce sera notre aventure à moto de l'été. L'aventure certes, mais avec Inter mutuelle assistance, cartes routières et GPS, carte bancaire, téléphone portable, internet en Wifi est-ce toujours l'aventure ? C'est l'aventure moderne, voilà. Et puis ce qui compte, c'est de rêver avant de partir et de se régaler en partant et tout au long du périple.
Pour préparer le voyage, le Guide du Routard c'est parfait. Ajoutez à cela un peu de documentation récupérée aux agences de voyage, sur le Net et les avis des Vroameurs qui ont déjà usé leurs gommes sur ces routes. Les problèmes, disons les discussions sérieuses à deux commencent déjà sur la table de la cuisine face à la carte de Norvège étalée sous nos yeux. Par où passer ? Là c'est super, dixit Le Routard, Là, d'après les dépliants des agences de voyages, c'est exceptionnel, ici, une petite excursion à pied est indispensable sinon on rate le nec plus ultra. Et, tenez-vous bien, on n'a pas tracé plus de cinquante kilomètres de route. Conclusion évidente, il faudra choisir donc, il faudra exclure. Ça commence mal notre expédition ! Alors pour cette première approche ça suffit, sinon nous allons nous énerver.
Aujourd'hui, nous sommes plus raisonnables. Nous savons que nous ne verrons pas tout. Alors, nous feuilletons le Routard pour la centième fois afin d'être certains de ne pas passer à côté d'une merveille. Le projet avance petit à petit. Il faut maintenant compter les kilomètres par étape. Rebelote pour les discussions à deux autour de la table. Pas trop long, sinon nous ne faisons que rouler. D'accord, mais si nous ne retenons pas de longues étapes, il faut partir non pas trois semaines mais six semaines. Tu n'y penses pas ! Alors ce soir encore, on replie tout avant la crise de nerfs. Je vous dis que c'est une aventure le Cap Nord !
Aujourd'hui nous devenons plus sages. Nous panacherons les longueurs des étapes. Comme pour les rallyes il y en aura des longues de jonction et des plus courtes, des spéciales, mais contrairement aux compétitions automobiles celles-ci seront plus lentes que les parcours de jonction. Il ne reste qu'à mettre des dates sur ces étapes et à faire les valises.
Je vous passe les joies des valises. Vous connaissez. Tu emportes ça, mais pourquoi faire ? Parce que ! Enfin qu'est-ce que cela peut te faire ! Ok, Ok, mais je te rappelle que nous partons à moto et non avec un semi-remorque. C'est malin. Si tu es si doué pour savoir ce qu'il faut emporter, fais ta valise toi-même ! Ne te fâche pas. Il y eut un jour, il y eut une nuit, ce fut bouclé. Les valises seront pleines, le top case de même et un gros sac polochon complètera le tout, sans oublier la sacoche de réservoir. A peine plus et il fallait une remorque. Pour deux cylindres seulement c'est beaucoup. Mais pour deux cylindres BM, ce sera un jeu d'enfants !!!
Tout est prêt, la moto a été révisée, les pneus changés, tout semble nous promettre un excellent voyage. Dernières vérifications : L'argent, les cartes d'identité, les papiers de la moto, les numéros de téléphone indispensables, la check liste lue et relue est rangée au fond du sac.
C'est parti, tout droit jusqu'en haut de la carte, mais pas un tour de roue de plus sinon... plouf dans la mer de Barents. Le GPS est calé sur la première destination, sept cent vingt-six kilomètres à travers l'Est de la France, le Luxembourg (ça s'est vite vu), l'Allemagne.
Deuxième étape, nous arrivons au Nord Danemark dans le port d'Hirtshals, il faut bien dormir car le lendemain, l'aventure en terre Norvégienne commence.
Ce coup-là, c'est du sérieux, nous nous trouvons sur le bateau et dans trois heures, nous y serons. La pression monte un peu. Kristiansund est en vue. Le bateau accoste. Surprise, un superbe comité d'accueil nous attend avec toutes les spécialités régionales : vent, pluie, brume et fraicheur. Et les choses n'ont pas été faites à moitié. Tout est servi très copieusement. L'aventure est au pied du bateau.
Nous décidons de supprimer la première petite route côtière retenue, car nous ne verrions rien. Autant rejoindre l'hôtel le plus rapidement possible. Le GPS n'est pas de notre avis. Trois fois, je vous dis bien trois fois, cet âne têtu nous ramène sur le rond-point de sortie du port. Ce n'est plus un GPS, c'est un compte tours ! Petite pause, nous recalons tout cela et nous repartons. Nous ajoutons une petite excursion pour visiter le phare le plus au Sud de Norvège planté à deux mille cinq cent dix-huit kilomètres du Cap Nord. Pas de problème tout est bien fléché. Il faut dire qu'à regarder cent fois la carte routière avant de partir, nous avons presque l'impression de connaître cette petite route. Pour reprendre la route normale, nouvel avis de tempête, pas sur l'océan celui-là, mais sur les sièges de la moto. Et du force cinq au minimum. Je te dis, on aurait dû rester sur la route principale ! Mais ne t'affole pas, le GPS est bien réglé cette fois-ci et le nombre de kilomètres ne cesse de diminuer. D'accord, mais t'as vu les routes qu'il nous fait prendre, ton GPS ! On va finir sur des graviers. Pas d'inquiétude ; c'est la découverte de l'arrière-pays. Ça, pour être de l'arrière-pays c'est plus que l'arrière-pays. Enfin, le vent emporta la tempête et nous posa à nouveau sur la « grande route » Ouf.! Merci Garmin !
D'autres produits régionaux nous ont régalés tout au long des trois semaines : Fjords, lacs, ponts, maisons rouges, tunnels dans la montagne, sous les eaux, accueil chaleureux et souriant partout où nous avons posés nos bottes, ciel bleu (mais oui, mais oui !) paysages changeants, à pics vertigineux, séchoirs à morue, longues lignes droites avec très peu de véhicules, la route des Trolls, ces petits êtres maléfiques, qui, pour ne pas être vus, nous ont tiré un rideau de brouillard à ne pas voir en même temps deux de ces fameux lacets serrés. Les îles Lofoten, forêts de feuillus bien fournies, de résineux longilignes ou chétifs au-delà du cercle polaire, neige en juillet à six cents mètres d'altitude, bateaux, bacs, à nouveau des tunnels avec ronds-points dans le tunnel, il faut les voir pour y croire, images d'Epinal du pêcheur qui prépare le poisson qu'il vient de sortir d'un rapide, au raz de son camping-car, au milieu de cet environnement sauvage. Nous en prenons plein la vue et nous oublions tout. La nature nous assaille, nous transperce, elle est partout présente, pas de bruits, pas d'énergumènes pénibles, la sérénité, le bonheur parfaits. Une seule envie... rester.
Alors, dans le Sud de la Norvège, nous avons musardé. Nous avons pris le temps en totale décontraction et puis le mythe du Cercle Polaire Arctique a commencé à nous titiller. Pour notre génération qui a grandi avec peu de télévision voire pas du tout, nous nous sommes nourris de lectures et de conférences. Parmi celles qui nous ont émerveillés, figurent au tout premier rang les récits de Paul Emile Victor en Arctique. Alors, ces termes Cercle Polaire Arctique, pour nous, ce sont les chiens de traîneau, les chenillettes filant sur la glace. Au fur et à mesure que nous nous rapprochions de ce cercle fantastique, l'émotion grandissait. La veille déjà, l'ambiance était différente de celle des autres jours. Rendez-vous compte. Nous pouvions dire « Demain, nous franchissons le cercle polaire arctique». Presque invraisemblable, non ? Presqu'irréaliste ! Merveilleux. Alors quand le ronron de la moto nous rapprochait de ce cercle d'où l'on peut voir au moins un jour par an le soleil de minuit, mon esprit gambadait. La végétation jouait le jeu. Elle diminuait en taille, se raréfiait. Pas de doute, nous approchions. Après la ville, au nom enchanteur de Mo I Rana, le cercle n'est qu'à une petite encablure. Pas d'affolement, profitons de l'instant, de la magie de ces lieux, du bouillonnement de la nostalgie. Paul Emile Victor parcourt les derniers kilomètres avec nous, je sens le souffle de ses chiens à côté de la moto, j'entends le crissement de la glace sous les patins des traîneaux. Ça y est, nous y sommes. Sauf que nous nous trouvons à deux mille cinq cents kilomètres du pôle Nord et que le thermomètre affiche vingt-deux degrés. Peu importe le mythe résonne de mille carillons joyeux. Le rêve continue. Nous sommes simplement très heureux d'être là.
Maintenant il reste à rejoindre le Cap nord et si on disait Nord Kapp pour se pénétrer un peu plus dans l'ambiance locale, loin de notre base de départ. Il faut jouer le dépaysement à fond. L'aventure c'est aussi le choix du vocabulaire, des mots et des expressions qui, à eux seuls, nous emmènent loin de tout. Alors en route pour Nord Kapp. Il faut lancer les chiens, le traîneau doit encore parcourir quelques mille deux cents kilomètres.
La veille du grand jour, je suis tout mon-dieu-mon-dieu. Cela me rappelle l'ambiance des veilles de compétitions. On repense à tout et en même temps on essaie de se vider la tête, mais rien n'y fait. Alors on s'occupe de mille façons, toutes aussi futiles et inutiles les unes que les autres. Et puis les heures passent, l'échéance approche. On prépare ses affaires. Nouvelle liste qu'on connait par cœur. Ne rien oublier, ce serait trop bête de louper l'épreuve à cause d'un oubli stupide. On refait cent fois l'inventaire. Tout est prêt. On met tout dans le sac et à nouveau on attend. Et puis le top départ est donné. On ne peut plus reculer. On essaie de ne pas laisser apparaître sa tension. Il faut rester décontracté. Ne pas perdre un poil d'influx, de vigilance. Dernière inspection, feux avant, arrière, clignotants, freins, plein d'essence, on a des TOC Vroam mon bon môôônsieur ! La moto descend de la centrale, la latérale se replie, Go ! Au quart de tour le moteur répond présent. Le claquement de la première nous rappelle que nous roulons bien en BM.
On pense à tout ce qui pourrait contrarier cette dernière étape de rêve, si longtemps attendue, si longuement préparée. Tout devrait bien se passer. Certes nous avons mis toutes les chances de notre côté, cependant une crevaison cela n'arrive pas qu'aux autres, un joint de pont arrière qui casse ça arrive même aux BM et c'est du vécu cette histoire. La mécanique moderne pour fiable qu'elle soit reste susceptible de panne. Alors ayons l'oreille au moindre bruit anormal. Un œil sur le tableau de bord de temps en temps pour se rassurer sans oublier de regarder ce paysage magnifique et profiter d'une météo favorable mais changeante...
Une petite précision s'impose ici. Il y a deux façons d'envisager l'arrivée au point ultime de notre périple. On « monte» au Cap Nord soit pour voir le soleil se tremper les pieds dans l'océan arctique aux alentours de minuit, soit pour réaliser un vieux rêve et s'en réjouir quelles que soient les conditions météorologiques. On se satisfait pleinement du défi qu'on s'est lancé et que l'on vient de réaliser pour le simple plaisir d'une magnifique balade à moto. On a enfin atteint ce point mythique pour de nombreux motards. On garde l'esprit des sportifs amateurs, le plaisir avant tout mais à fond. Si la météo nous sourit tant mieux, si elle est du genre ambiance locale, tant pis on fera avec.
Pour nous ce fut la deuxième option qui nous accueillit. Dans les dix derniers kilomètres un brouillard abominable nous attendait. On ne voyait pas à trente centimètres devant le nez de la moto. Un peu angoissant car la route n'était pas très bien matérialisée dans les deux ou trois derniers kilomètres. Après le péage, pour entrer au parking, difficile de le situer, difficile de repérer les véhicules déjà stationnés et de trouver une place. De même, une fois la moto garée, impossible de voir le bâtiment qui donne accès à la fameuse sphère. Comme les moutons de Panurge, nous suivons ceux qui avancent et que l'on devine à peine à un mètre devant nous. Enfin nous y sommes. A la faveur de petites bourrasques de vent nous découvrons le monument du Nord Kapp ; séances photos pour immortaliser cet instant. Est-ce bien utile de fixer sur des pixels ce qui vient de se graver dans nos esprits, dans nos cœurs avec beaucoup plus de poésie ?
Le rêve se transforme en une réalité fantastique, en une féerie des plus sublimes. A la déception de ne pas surprendre le soleil descendre puis remonter à l'horizon, sans jamais disparaître, succède la joie de profiter d'instants qu'on n'avait même pas imaginés aussi forts, aussi prenants et même, avouons-le, sans fausse honte, aussi émouvants. Nous restons de longues heures sur ce site envoutant, espérant une éclaircie qui ne viendra pas. Peu importe, la magie opère et le ravissement est total. Mille idées nous passent par la tête, toutes emplies d'émerveillement, de joie, de ciel bleu malgré cette météo si typique. N'est-ce pas aussi cela voyager : accepter ce qui arrive et en profiter sans retenue, sans limite.
Maintenant Cap au Sud, mais c'est une autre histoire.

Serge Grandvaux.