MAGADAN
Seul à moto jusqu’au bout de la Sibérie
Kim Hoang
Les noms propres évoquent souvent à des périodes différentes des réalités très divergentes. Ainsi en est-il de la funeste route de la Kolyma construite sous l’ère stalinienne. Par endroit elle a Magadanenveloppé les ossements des condamnés au Goulag dans son soubassement d’où son nom « route des os ». Elle traverse la Sibérie orientale pour se terminer à Magadan. Magadan, hier camp de prisonniers, aujourd’hui, but rêvé par Kim Hoang qui voulait rejoindre cette ville à moto. Son livre paru aux Editions de l’Aire en septembre 2017 retrace ce périple.
Dire que ces pages enchantent le motard n’est qu’un doux euphémisme. Dès qu’on ouvre ce livre on est embarqué dans l’aventure.
Coup classique d’un remède à un burnout inattendu bien que prévisible, cette épopée révèle un vrai caractère de baroudeur réfléchi et méticuleux. Tout commence par le choix de l’itinéraire et de la moto. Il en fallait une légère, robuste, fiable avec peu ou pas d’électronique, facile d’entretien et de réparations. Plusieurs modèles répondent à cette palette de critères : un compromis s’impose à lui une BMW F650 GS de 2007. Nul point où elle n’excelle mais nul où elle ne pêcherait. Bien sûr, il faut la configurer pour l’aventure ce qui prend du temps et de l’argent.
L’itinéraire prendra la direction du sud pour remonter ensuite vers la Russie et la célèbre voie ferrée du BAM (Baïkal Amour Magistrale). Carte GPS rien ne manquera. Il faut dresser un calendrier qui tienne compte des chutes de neige, des fontes de neiges, des inondations, des hivers précoces, des printemps qui tardent à venir. Cette fenêtre idéale trouvée, arrive l’étape de la recherche des visas et autres formalités. Un vrai casse-tête.
Enfin il part. Le récit alterne descriptions de paysage, commentaires sur les rencontres et évidemment les anecdotes qu’un tel périple apporte quotidiennement. Transpire de tout cela une grande humanité pour les personnes rencontrées. L’auteur tord le coup à des clichés par trop répandus sur certaines nations sen relatant une réalité beaucoup plus belle et le plus souvent très hospitalière. Le chapitre sur la traversée de l’Iran est une illustration de tout ce qu’il faut changer dans nos repères.
Bien sûr les lecteurs motards seront séduits par les descriptions de la solidarité des bikers un peu partout sur le parcours et tout particulièrement en Russie. Ils seraient curieux d’en apprendre un peu plus quant à l’admiration de ce baroudeur sur le bleu si profond des yeux des jolies femmes russes. Mais ils n’en sauront pas plus.
Un épisode est particulièrement palpitant il s’agit du franchissement du pont, si on peut appeler cela un pont, de la rivière Vitim. Tellement invraisemblable que je suis allé sur internet me rendre compte en image et vidéo. Pire que le pire imaginable. C’est un petit regret dans ce livre, le manque d’images.
En plus de tout cela ce baroudeur émaille son texte de réflexions personnelles qui révèlent une personnalité attachante avec toutes ses qualités mais aussi avec ses faiblesses’ (Bien relatives vu son exploit) sans fard, ni tricherie. Bel exemple de modestie et d’humanité..
Enfin parmi toutes les phrases qu’on aimerait recopier j’en ai choisi une pour toutes les Vroameuses et tous les Vroameurs : « Le voyage nous forgera d’un minerai plus rare, plus singulier, plus solide et nous fera devenir autre.». Et comme une seule phrase ce n’est pas beaucoup une autre pleine de romantisme et de tendresse : « A la traversée d’un village, une jeune fille me fait signe de m’arrêter. Elle me tend une rose. Me sourit. Puis elle se détourne et rejoint ses amies sans un mot. Je pique la rose dans la fermeture éclair de ma sacoche entrouverte… Elle saura me porter chance dans le Pamir.».
Un beau, très beau livre à s’offrir ou, mieux encore, à se faire offrir et à offrir à d’autres. De très bons moments en perspective.

Serge Grandvaux